Résilience alimentaire et sécurité nationale : une conférence pour des préoccupations au cœur du PAT

« Résilience alimentaire et sécurité nationale ». Pourquoi ces deux notions sont-elles intimement liées ? Mardi 30 mai, à l'invitation du Parc naturel régional du Perche, 80 personnes sont venues écouter Stéphane Linou à l’occasion d’une conférence préoccupante mais qui n’en reste pas moins sans solutions.


Ancien Conseiller Général de l'Aude, pionnier du mouvement Locavore en France, auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale), conseiller en développement local et en gestion des risques, formateur à l’Institut Supérieur des Elus... Stéphane LINOU décrit depuis de nombreuses années les diverses vulnérabilités de nos systèmes alimentaires, aujourd'hui mises en lumière par le COVID et le contexte ukrainien. En juin 2019 il publie un livre-enquête issu d’un mémoire de recherche de Mastère spécialisé en gestion des risques sur les territoires, intitulé «Résilience alimentaire et sécurité nationale». C'est sur ce thème qu'il intervenait, à l'invitation du Parc naturel régional du Perche mardi 30 mai, devant 80 personnes, dans le cadre du Projet Alimentaire de Territoire et du projet ATLASS 2 (voir encadré). Morceaux choisis d'une conférence tout en démonstration.
 

Découverte des énergies « faciles »

« Avant, nous dépendions de notre territoire environnant. Le coût de transport était supérieur au coût des produits : nous étions obligés de produire localement car importer coûtait trop cher. Pour cela, nous étions obligés de connaître notre territoire et ses ressources et si nous voulions une production pérenne, nous étions obligés de le préserver. Puis nous avons découvert les énergies fossiles, les énergies “faciles”, denses et à bon marché, nous permettant de nous affranchir de nos territoires, et nous avons oublié l'espace et contracté le temps. Nous avons fait venir de loin des ressources que nous ne faisions pas venir jusque-là car elles coûtaient plus chères et nous sommes entrés dans la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo (économiste Britannique): si le transport ne coûte rien, les territoires se focalisent sur les productions sur lesquelles ils sont le plus performants et délaissent les autres productions». Ce qui amène, comme nous le vivons, à une hyper spécialisation agricole des territoires : « 98 % de ce qui se trouve dans notre assiette provient d’autres régions et d’autres pays et 97 % de ce que l’on produit part vers d’autres régions et d’autres pays » 1 source en bas de page.

« La nourriture arrive, on ne sait pas comment »

C'est ainsi que l'on s'est désintéressé de notre territoire nourricier. Pourtant, toute l'histoire de l'humanité, jusque dans les années 50-60, s'est construite autour de cette « préoccupation première ». On savait, on répertoriait où étaient les compétences, les savoir-faire, les semences, le matériel... Et l'on sécurisait le foncier en conséquence. « Les sociétés s'organisaient autrefois autour de la pénurie. Les édiles, les anciens maires en quelques sortes, organisaient la vie de leur cité autour de 4 sécurités. Ils devaient sécuriser la cité contre les invasions, garantir la sécurité intérieure à travers l'ordre public, garantir la sécurité sanitaire (contre les épidémies) et ils étaient aussi attendus sur la sécurité alimentaire pour préserver la population des famines. Il y avait des systèmes alimentaires partout car on n'avait pas le choix. On organisait la vie autour du risque de pénurie alimentaire, l'abondance était l'exception. Aujourd'hui, c'est l'inverse, nous avons construit un système autour de l'abondance. Nous ne sommes pas en sobriété, nous sommes en ébriété. Nous sommes comme sous perfusion. La nourriture arrive on ne sait pas comment, et comme si c’était une question réglée, on ne se pose plus la question » Et pourtant, quand on sait que, comme l'affirme le conférencier « l’autonomie alimentaire de nos territoires est en moyenne de 2 %... » et que « 70 % des foyers s'approvisionnent dans les grandes surfaces, celles-ci n'ayant que deux à trois jours de stocks...», il est légitime de s'interroger : que se passerait-il s’il y avait une rupture de la chaîne d’approvisionnement alimentaire ? C'est-à-dire si l'arrivée de nourriture dans nos territoires était rompue, paralysée ? Pour Stéphane Linou, la question n'est pas tant de se demander si cela arrivera mais plutôt quand. Et il est évident que dès lors, le “continuum sécurité défense” serait saturé, de l’agent de sécurité de magasin jusqu’à l’armée, tous les services seraient surchargés, débordés, la sécurité intérieure et nationale seraient impactées. La non résilience alimentaire est en ceci intimement liée à la sécurité nationale.
 

Plan Communal de Sauvegarde, PAT… des solutions existent

Pour autant, malgré une démonstration préoccupante et sans proposer une autonomie alimentaire de 100 % ou l’autarcie, Stéphane Linou, qui dispense des formations pour élus sur ce sujet, ne reste pas sans solution. «Il faut remettre en place des filets de sécurité alimentaire en reconstruisant des « microbiotes alimentaires de territoires » avec les producteurs, les transformateurs, les acteurs de la logistique, les consommateurs et les prescripteurs ». Sur ce dernier point, il évoque, les élus, les collectivités qui peuvent agir à travers la commande publique, les documents d’urbanisme, ou encore les Projets Alimentaires de Territoire,  comme c'est le cas sur notre territoire avec le PAT du Perche coordonné par le Parc. Dans la continuité, Stéphane Linou appuie sur la notion de « planification alimentaire », sur le fait de quantifier et d’organiser une partie des besoins alimentaires des populations. Et offre une perspective : le Plan Communal de Sauvegarde : un outil réalisé à l'échelle communale autour de la prévention des risques en cas d’événements majeurs. « Ce document existe ! Il est obligatoire pour les communes soumises à un risque majeur (inondations, Seveso…) et il peut être enrichi avec le risque de rupture d’approvisionnement alimentaire 2.De nombreuses communes en possèdent un. Il suffit de l'enrichir de risques alimentaires ». En d'autres termes, de se projeter dans une situation de rupture alimentaire et de déterminer, de penser en amont la façon de s'organiser afin de réduire les effets d'une telle crise.Et de conclure : « Dans dix ans, la moitié de nos agriculteurs partiront à la retraite.... Si on ajoute à cela l'artificialisation des sols, le réchauffement climatique, la montée des eaux.... Ne pas produire une partie de notre nourriture près des lieux où l’on consomme, ce n’est plus sage du tout car acheter loin ce que l’on devrait produire sur place fabrique de l’insécurité localement car on détricote nos infrastructures nourricières».
 

Un atelier de simulation autour du risque de rupture


« Une tempête vient de frapper le Grand Ouest de la France, recouvrant cette partie du territoire de 30 cm de neige. Transports, électricité… les réseaux sont impactés, l’électricité et les communications coupées, la mobilité très réduite ». C’est ce scénario dans lequel ont été plongées une trentaine de personnes ce mardi 30 mai à Nogent-le-Rotrou. Toujours dans le cadre du Projet Alimentaire de Territoire qu’il coordonne, le Parc naturel régional du Perche avait programmé, en amont de la conférence, un atelier de simulation de rupture alimentaire afin de sensibiliser sur la résilience. Aux côtés des animateurs du projet ATLASS 2, les participants se sont prêtés à ce jeu de rôle durant près de 2 heures. Ils racontent : « On a tous incarné un personnage. C’était très déroutant… On s’est retrouvé au lendemain de la catastrophe avec des décisions à prendre, dans l’urgence, en essayant de mettre de côté nos intérêts individuels. Une fois l’urgence passée, on a pensé organisation collective… mais, comme on ne l’a jamais imaginée, on n’est pas préparé à vivre une telle situation ». Qui produit quoi et où, quels sont les acteurs logistiques du territoire, où stocker les réserves, quid de l’énergie quand il n’y a plus d’électricité ni d’essence, et comment communiquer avec les autres, comment se déplacer…? Autant de questions auxquelles se sont confrontées les joueurs et qui font écho aux propos de Stéphane Linou. Ce « jeu de rôle » pourrait prochainement être proposé aux élus afin de les sensibiliser. Une bonne porte d’entrée pour comprendre les enjeux liés à la résilience alimentaire et évoquer l’importance d’intégrer ces sujets au sein des Plans Communaux de Sauvegarde.

Zoom sur le projet Atlas

Le projet de recherche - action ATLASS 2 (Action Territoriale pour l’Alimentation Solidaire et Soutenable) vise à aider les territoires à se préparer aux crises à venir, susceptibles de conduire à des ruptures alimentaires, en construisant une adaptation collective. Le Parc naturel régional du Perche est un des six territoires partenaires du projet ATLASS 2, situés dans le Grand Ouest. Restitution du projet le 5 décembre 2023 à Dinan.

Sources :

 1.https://utopies.com/wp-content/uploads/2019/12/autonomie-alimentaire-des-villes-notedeposition12.pdf
2.https://www.cdgplus.fr/sante-au-travail/missions-complementaires-proposees-cdg/le-dicrim-pcs/
 

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